Tout d’abord une seconde lecture : Un jour d’été 1596, dans la campagne anglaise, une petite fille tombe gravement malade. Son frère jumeau, Hamnet, part chercher de l’aide car aucun de leurs parents n’est à la maison… Agnes, leur mère, n’est pourtant pas loin, en train de cueillir des herbes médicinales dans les champs alentour, cette femme que l’on prend pour une sorcière interpelle par sa vie, elle marche seule, pieds nus, dans les bois et cueille ce qui sera le remède…
Devenir chevreuil a pour point de départ ce hasard, cette coïncidence, ce rendez-vous entre l’imaginaire et la réalité. Au-delà de nous conter les délices de la vie d’un jeune cervidé dans une nature en plein éveil, Tony Durand fait littéralement corps avec lui, se projette avec empathie et humour dans les sensations et les aspirations de son double animalier. En autant de petites touches qu’il y a de bourgeons dans les arbres, l’auteur nous emporte dans son admiration pour la vivacité et la liberté de ce chevreuil fascinant, et nous ouvre en grand les portes du vivant et des imaginaires qu’il peut susciter.
Pendant des années, les rumeurs les plus folles ont couru sur « la Fille des marais » de Barkley Cove, une petite ville de Caroline du Nord. Pourtant, Kya n’est pas cette fille sauvage et analphabète que tous imaginent et craignent. Une seconde lecture qui nous permet de constater que ce roman est aussi une enquête policière.
Quichotte, un représentant de commerce vieillissant obsédé par le “réel irréel” de la télévision, tombe éperdument amoureux d’une reine du petit écran et s’embarque, à travers les routes d’Amérique, dans une quête picaresque pour lui prouver qu’il est digne de sa main. À ses côtés sur le siège passager, Sancho, son fils imaginaire. Ce roman d’une ampleur phénoménale raconte l’histoire d’une époque déréglée – “l’Ère du Tout Peut Arriver” – et brasse dans son sillage des thèmes aussi divers que les relations père-fils, les querelles frère-sœur autour d’actes impardonnables, le racisme, la crise des opiacés, les cyber-espions, la science-fiction, l’histoire de l’Auteur qui a créé Quichotte, et la fin du monde. Exubérant, drolatique et terriblement intelligent, « Quichotte » est une bombe littéraire sur fond d’apocalypse.
À quoi ressemble une vie ? Pour la narratrice, à une déclaration d’amour entre deux enfants de quatre ans, pendant une classe de musique. Ou à leur rencontre en plein hiver, quarante ans plus tard, dans une rue de Paris. On pourrait aussi évoquer un rock’n’roll acrobatique, la mort d’une mère, une exposition d’art contemporain, un mariage pour rire, une journée d’été à la campagne ou la vie secrète d’un gigolo. Ces scènes – et bien d’autres encore – sont les images où viennent s’inscrire les moments d’une existence qui, sans eux, serait irrévocablement vouée à l’oubli. Car tout ce qui n’est pas écrit disparaît. Conjurer l’oubli : tel nous apparaît l’un des sens de ce roman animé d’une extraordinaire vitalité, alternant chutes et rebonds, effondrements et triomphes, mélancolie et exaltation.
« Raconter Vivian Maier, c’est raconter la vie d’une invisible, d’une effacée. Une nurse, une bonne d’enfants. Une photographe de génie qui n’a pas vu la plupart de ses propres photos. Une Américaine d’origine française, arpenteuse inlassable des rues de New York et de Chicago, nostalgique de ses années d’enfance heureuse dans la verte vallée des Hautes-Alpes où elle a rêvé de s’ancrer et de trouver une famille. Son œuvre, pleine d’humanité et d’attention envers les démunis, les perdants du rêve américain, a été retrouvée par hasard – une histoire digne des meilleurs romans – dans des cartons oubliés au fond d’un garde-meubles de la banlieue de Chicago. Vivian Maier venait alors de décéder, à quatre-vingt-trois ans, dans le plus grand anonymat. Elle n’aura pas connu la célébrité, ni l’engouement planétaire qui accompagne aujourd’hui son travail d’artiste. Une vie de solitude, de pauvreté, de lourds secrets familiaux et d’épreuves ; une personnalité complexe et parfois déroutante, un destin qui s’écrit entre la France et l’Amérique. L’histoire d’une femme libre, d’une perdante magnifique, qui a choisi de vivre les yeux grands ouverts.
Ça raconte Sarah, sa beauté mystérieuse, son nez cassant de doux rapace, ses yeux comme des cailloux, verts, mais non, pas verts, ses yeux d’une couleur insolite, ses yeux de serpent aux paupières tombantes. Ça raconte Sarah la fougue, Sarah la passion, Sarah le soufre, ça raconte le moment précis où l’allumette craque, le moment précis où le bout de bois devient feu, où l’étincelle illumine la nuit, où du néant jaillit la brûlure. Ce moment précis et minuscule, un basculement d’une seconde à peine.
« Il ne m’avait pas légué la douceur, la confiance ni la foi. Cependant, j’héritais de lui les trois choses auxquelles je tenais le plus au monde. J’héritais de lui l’absence, la joie et la violence. »
Plus grand que la vie, Gérard illumine les jours de sa fille, Lou. Fort et fantaisiste, ce baby-boomer aux allures d’ogre ensorcelle tout : les algues deviennent des messages venus des dieux, ses absences des missions pour les Services Secrets. Mais que fait cette arme dans la table de nuit ? Qui sont ces fantômes d’une famille disparue, apparaissant par intermittence, en creux des conversations ? D’où viennent, surtout, ces accès de cruauté — ceux-là mêmes qui exercent sur sa fille fascination et terreur ? À travers l’histoire d’une enfance trouble, dans ces paysages de l’Ouest français où la mer et la forêt se confondent, Vers la violence rappelle comment nos héritages nous façonnent, entre chance et malédiction.
Les ouvrages étudiés ce jour :
« Hamnet » de Maggy O’FA RRELL
« Là où chantent les écrevisses » de Delia OWENS
« Devenir Chevreuil » de Tony DURAND
« Quichotte » de Salman RUSHDIE
« L’éternel fiancé » de Agnès DESARTHE
« Une femme en contre-jour » de Gaelle JOSSE
« Ca raconte Sarah » de Pauline DELABROY-ALLARD
« Vers la violence » de Blandine RINKEL
Notre prochain rendez-vous aura lieu jeudi 6 octobre 2022 à 15 h à la salle du Conseil de l’Ancienne Mairie.